Shoot 6

Pas de réponse. Pourquoi pas de réponse ? Pourquoi ne me répondrait-elle  pas ? Elle me saute  toujours au  cou habituellement… Je n’aime pas ça. Non pas  furieuse  mais inquiète comme jamais j’entamai  la fouille de notre appartement, oubliant jusqu’à l’existence de Raphaël. Dans le salon : RAS. La cuisine : RAS. Sa chambre : RAS…

Que dire dans cette situation… ? Quand on est vraiment effrayé  par quelque  chose,  une quantité indénombrable d’hypothèses  se  bousculent dans  votre esprit. Comment on appelle ça déjà ? Ah oui. Je sais. La panique. Voilà bien longtemps que mon cœur n’avait battu  aussi  fort au fond de ma poitrine.

Je n’ai même pas la force d’aller vérifier dans ma propre chambre, je lui interdis d’y aller en mon absence… J’entends des pas légers derrière moi. Je pense que c’est Raphaël. Il a dû me voir dans  tous mes états. Je n’étais pas trop d’humeur à lui parler. Je risquais de lui coller mon poing dans la figure. Si quelque  chose arrive à Sabine, ça ne peut être que de sa faute, n’est-ce pas ? Plus j’y pense  et plus ça m’énerve. J’ai envie de le frapper, mais sans raison ça ne serait pas "raisonnable". Je me mordis alors violemment la lèvre jusqu’à y perdre un filet de sang.

Peut-être qu’elle était sortie, qui sait ? Pourquoi je panique  comme ça ? Habituellement  elle me prévient  toujours mais peut-être que dans l’empressement… Quel empressement ?

         -Ah  ça m’énerve !! Elle est passée  où !? Fis-je alors en me retournant  brusquement vers ma chambre.

Je devais être effrayante. Le petit Raphaël a semblé fuir dans la cuisine. Mais  il m’importait  bien peu, le faux jeton. D’un pas pressé je m’élance dans ma chambre, j’ausculte : des choses ont bougé. J’aime encore moins ça. On les avait  touché et remis soit disant en l’état mais ça ne marche pas avec moi tout ça. Il fallait que  je sache.

La petite  nous avait  dit de faire attention, mais est-ce qu’il ne ce serait pas passé quelque chose d'autre ? Demander des renseignements aux voisins me faisait  plus chier qu’autre chose, mais il fallait que je sache, si ces  « fameux hommes en noir » avaient fait quelque chose d’autre que de poser des questions sur  nous.

J’appelai son bipper. Et oui même aujourd’hui à notre époque on utilise des bippers. C’était le moyen que j’utilisais exclusivement avec elle afin qu’elle me différencie de  tout son attroupement d’amies pots de  colle. Elle ne le quittait jamais. Tout du moins, à ce que je sache. J’entendis  le son du bipper dans la salle de bain. Je restai un moment figée en fixant cette porte  qui me semblait soudainement si  loin avant de m’y précipiter. J’ouvris la porte : trace de bagarre. Il ne me fallut pas plusieurs secondes avant de vraiment être effrayée :

         -PUT…

         -Allô ?

Quoi ? Quoi !? Quoi quoi !!? Il appelait qui comme ça, lui ??

         -Allô Sabine tu es où ?? S’inquiétait aussi Raphaël, téléphone à la main.

Je retins ma respiration en espérant  une réponse  positive. J’ai dû être une loutre par le passé pour avoir été  aussi  bête. Je m’en rendais compte en voyant  des traces de sang dans la salle de bain. Je ne savais pas à qui il pouvait  bien appartenir mais une chose était sûre : ça pouvait pas être positif.

         - !!

Raphaël avait  eu une réaction pas très encourageante non plus. Il lâcha le téléphone qui s’éparpilla en mille morceaux sur  le sol avant de s’y effondrer lui aussi, les mains sur la tête. Mais qu’est-ce que c’était que ça ? Cette réaction voulait  dire quoi ? Mais parle  bon sang !! Je m’élance  vers lui, je l’attrape par le col et le secoue comme un sac de patate:

         -Quoi !? Quoi !!? Mais  dis-moi ce qu’il se passe bordel !! Elle  est  où ? Continuais-je en m’énervant sur  ce pauvre garçon.

Il était inconsolable. J’aurais  pu le battre à mort que ça n’aurait  rien changé. La seule chose qu’il était capable de faire à ce moment  là, c’était de pleurer à chaudes larmes et quémander le pardon afin qu’on ne lui inflige plus ce qu’il  avait vécu avec son « propriétaire. »

Bah. Tout ce que je pouvais déduire de tous ces éléments c’est que Sabine avait bel et bien été enlevée par des hommes en noir qui nous avaient repérés hier. Les faits  étaient  là. M’énerver plus que je ne l’étais déjà ne servirai pas à grand-chose en fait.

Ils connaissaient notre planque. Plus qu’à mettre les voiles. Plus je pensais à cette idée, plus je voulais le tuer. Ce petit  Raphaël. Le petit  qui n’a jamais eu de chance dans sa vie et qui n’aurait peut-être jamais dû naître pour foutre la merde dans ma vie et celle de Sabine. Sabine était déjà traumatisée à cause de son passé. La violenter la fera juste sombrer à nouveau dans sa folie d’antan. Elle qui avait réussi à repartir à zéro… C’est surtout cette idée qui me rongeait  le plus. Qu’auraient-ils  bien pu lui faire ? Toute cette bande de chiens sales. Venir jusqu’à chez nous pour me la prendre, mais quel culot !! J’ai passé  toute ma vie à la protéger et là…. Juste parce que je l’ai quittée des yeux, il m’arrive ça. Quelle ironie du sort, n’est-ce pas ?

Mais bon, elle semblait tenir  à lui. Elle l’avait enlacé tendrement malgré sa peur inconditionnelle du genre masculin. Ça ne devait pas être un si mauvais gars que ça.

Je le relevai, car il ne semblait pas pouvoir le faire lui-même et le balançai sur la chaise avant de le gifler assez fort afin que sa tête  fasse plus qu’un quart de tour. Il me regarda avec de grands yeux embués de larmes mais surtout stupéfait.

         -Je vais  la chercher, je ne sais pas encore où, mais j’irai la chercher où qu’elle soit. Toi tu décides de faire quoi ? Rester là à pleurer jusqu’à ce qu’on vienne te cueillir et que tu finisses en jouet pour vieux lubrique ? Ou tu viens te battre avec moi ?

Au début j’ai cru qu’il allait refondre en larme. J’avais prévu de le re-gifler si le besoin se présentait, j’avais quelque cartouches encore en stock, pas de crainte à ce niveau là. Mais finalement, quand  il comprit qu’il n’était pas seul, il acquiesça d’un signe de la tête. Ok pour moi : la chasse à l’homme était  ouverte. Mais il fallait faire vite.

Une fois calmé je lui  dis  de commencer à faire ses paquets, il fallait qu’on mette les voiles. Pendant qu’il se préparait j’allai toquer  chez les voisins pour avoir plus d’informations.

              Tout d’abord  le voisin d’en face qui était  là mais faisait mine de ne pas l’être. La voisine  du bout de pallier, pareil, les autres voisins pareil.

Serait-ce une blague de mauvais goût ? J’avais l’air de vouloir rire ? Non mais c’était de plus en plus louche.

         -Hey !! M’sieur Schwartz, toquais-je une nouvelle  fois à la porte du voisin d’en face. M’sieur Schwartz, je sais que  vous êtes là, répondez moi s’il vous plaît, j’ai une ou deux questions à vous poser, s’il vous plaît, M’sieur Schwartz s’il vous plaît !

Même moi je m’énervais à être aussi casse pied. Qu’il vienne me casser la figure si ça lui chante, au moins il sortira de sa tanière.

Toujours rien.

Je commençai alors un scandale devant mon entrée, en traitant toute cette vermine du voisinage par des adjectifs qui les qualifiaient  si bien. Toutes les brimades que nous avions subit Sabine et moi, cette situation énervante, tout ce cocktail promettait d’être très … Molotov…

         -Hey… M’sieur Schwartz… Si t’ouvres pas cette putain de porte dans 10 secondes  je te la défonce et je te refais le portrait dans ta propre maison !! Le menaçais-je alors.

Je commençai à décompter. Partant de 10  jusqu’à 0. Et ouais j’avais au moins appris à faire ça quand j’étais à l’école. Pourtant le malheureux n’avait toujours pas ouvert sa porte. La vie de Sabine en dépendait peut-être, qu’est-ce que j’avais à y perdre ? Je donnai un petit  coup de pied dans un premier temps pour bien lui faire comprendre que j’allais le faire. Je fais toujours ce que je dis.

Toujours  rien.

Puis  je m’élançai pour vraiment la défoncer, cette porte blindée tagguée à souhait, elle ne me faisait pas peur. Mais le voisin ouvrit enfin cette putain de porte. Et se prit mon coup de pied dans le bide avec un couteau à la main.

Le pauvre.

Je l’ai projeté 8 mètres derrière.

         -Ah bah enfin ! Oups je m’invite désolée pour l’intrusion, dis-je alors en m’y introduisant.

Je m’accroupis par-dessus ce dernier qui hurlait de douleur, sous les yeux de ses rejetons et de sa grognasse de femme. Je leur souris d’un air amusé camouflant toute la haine que je ressentais à cet instant là. Les gamins  se mirent à hurler, tout comme leur père. Je posai alors ma main sur sa bouche pour le faire taire et fit signe aux gosses d’en faire de même ou sinon je les zigouillerais. Ils m’ont laissé  toquer pendant 20 minutes ? Et bien pas la peine de prendre des gants.

         -Dis moi ce que  tu sais et après je te fiche la paix, M’sieur Schwartz, lui dis-je alors d’un regard cruel.

Je ne sais pas à quel point je devais être effrayante mais j’ai cru qu’il perdrait connaissance sous la pression que je lui infligeais.

         -D-Des mecs en noirs sont  venus  chercher le type de la dernière fois !! Et ils ont emporté la voisine !! Celle qui vit avec toi ! C’est tout ce que je sais !! Laisse-moi à présent !!

Je le regardais se débattre pour se délivrer de ma prise. Quel idiot. Il savait tout ça et malgré tout il ne voulait  rien me dire ? Mais pourquoi ? Parler maintenant ou avant ne changeait rien non ? Je ne comprenais pas.

Je fus alors prise d’un rire nerveux. Je crois que tout l’immeuble pouvait m’entendre. Je riais de rage à en perdre des larmes vis-à-vis de la stupidité mais surtout de la cupidité humaine. Je rigolais à en balancer ma tête à l’arrière. Jusqu’à ce que je m’arrête brusquement. C’était fini le temps de jouer, pas vrai ?

Je rabattis mon front  sur le sien très brutalement. Je fus sonnée, mais pas autant que lui apparemment, il tomba inerte  sur le sol.

Je me relevai alors très calmement en enlevant la poussière de mes genoux. Je passai ma main dans mes cheveux afin de me calmer. Il ne faudrait pas que je saute aussi sur sa famille, je ne suis pas cruelle à ce point là.

Mais je n’avais pas eu assez d’information. Je voulais en savoir plus, alors pour paraître plus détendue, je me retournai vers la petite  famille Schwartz qui tremblotait  comme une feuille. Sur leur visage, on aurait parié que c’était moi la méchante dans cette histoire !! Ha ! Mais quelle bêtise !

         -Vous ne savez rien d’autre M’dame Schwartz ? Fis-je alors à la femme.

         -On…. On ne sait pas qui ils sont !! Laisse-nous tranquille espèce de démon !! Faisait-elle en serrant très fort une  croix qu’elle portait autour du cou.

Elle serrait plus fort cette croix que ses propres enfants qui étaient en pleurs accrochés à ses jambes.

         -Vous êtes sûre ? Il n’y avait pas un indice quelconque ? Que  je puisse les retrouver et leur faire regretter d’être né ?

Rien à faire la femme tout aussi inutile que son mari, elle mériterait que je la frappe elle aussi. Bah pourquoi pas ? Pour toutes les crasses qu’elle m’a faite, elle pouvait  bien s’en prendre une, pas vrai? Je m’avançais vers eux qui se mettaient à gueuler de plus belle quand quelqu’un me retint par le bras.

Je me retournai. C’était Raphaël. Sur son regard je lisais : « mais qu’est-ce que tu fais ? »

         -Je sais par où commencer les recherches… ne les frappe pas s’il te plaît… me disait-il toujours d’un air apeuré.

         -Les frapper ? Où tu as vu que j’allais les frapper ? J’allais leur caresser les cheveux à ces gosses ! Fis-je alors en le frappant lui à l’estomac.

Il m’avait mise à jour.

En sortant je me retournai vers eux  pour leur dire une dernière chose :

         -Au  départ je comptais vous poser la question poliment mais vous m’avez laissé en plan sur le pallier. Voilà pourquoi tout ça. La prochaine fois  vous saurez quoi faire, bande d’impolis.

Et je refermai la porte. Non mais pour qui je me prenais pour leur dire une chose pareille? Après leur avoir presque défoncé leur porte d’entrée et frappé l’hôte de la maison ? Et puis on s’en fout. Sabine était  toujours en danger, le reste n’était que détail.