Shoot 2

Plus tard, quelque chose vient me déranger sous ma couette… Sabine faisait vraiment comme une gamine des fois. Et toujours pas le temps d’en placer une…

         -Je t’ai fais ton petit déjeuner ! Tu viens où je te l’apporte au lit ?

         -Heu… Plus tard ? Lui disais-je encore groggy. Trop envie de dormir.

         -Tu… Tu n’en veux pas… ? Elle commençait à pleurnicher…

         -Ouais bon OK, j’arrive, j’arrive, sors de là, capitulai-je… 

Tout en oubliant un petit détail, je sors de sous la couette, toujours en boxer homme et  mon débardeur moulant dans la cuisine. Vision désagréable : un mec craintif me voit arriver et baisse les yeux au point où je me demandais s’il s’enfoncerait pas dans la table.

         -Salut, soufflais-je l’air de rien.

Pas de réponse… J’étais chez moi quand même… Faut pas déconner. Tiquée sur le vif je m’assoie à la table et je me répète :

         -Bon-Jour…

         -B…Bonjour !!

Mais qu’est-ce que… J’attends toujours des explications, mais bon, Sabine comme à son habitude prend son temps… J’ai l’impression qu’elle le fait exprès parfois…

         -Merci pour le petit dej' Sabine. Il est quelle heure ?

         -17h47, tu as bien dormi !!

Et merde… Une journée de perdue… Pourquoi j’ai autant dormi ? Je dois faire le ménage et virer les ordures que les voisins ont jeté devant notre entrée… Pendant que je me disais tout ce que j’avais à faire, je regardais ce gus manger ce que j’avais payé en travaillant avec la sueur de mon front. Je tiquais encore un peu plus. Finalement, avant de refaire une bêtise et d’agresser notre « invité » je préférais m’adresser à Sabine.

         -Sabine… Tu comptes me le présenter quand, ton ami là ? Tu attends que je te le demande ?

         -Ah ! Oui ! C’est mon frère ! Il s’appelle Raphaël.

Mais qu’est-ce qu’elle me raconte ? J’ai grandi avec elle et j’avais jamais entendu parler de ce soit disant Raphaël. Ils ont dû le voir sur mon visage, car elle a enchainé de suite :

         -C’est mon demi-frère… Du... troisième mariage de mon…

         -Ah OK. Et bien enchantée, je ne voulais pas qu’elle se remémore de souvenirs désagréables…

         -Raphaël !! Je te présente Alex !! Mon prince !

Heu… ? C’est quoi ces présentations ? C’est sensé être l’une des répliques qu’elle réserve à ses potes de l’université, n’est-ce pas ? Si elle prend de telle précaution c’est peut-être parce qu’elle ne lui fait pas confiance ? Quelle barbe…

         -Heu… Prince… Désolé pour ce matin, j’ai cru que tu allais lui faire du mal… Hé ! Hé !!

Ce ton ne me correspondait absolument pas…Tout ce que je voyais c’était un obstacle de plus. C’est déjà pénible de jouer la comédie à l’extérieur, alors chez moi aussi ça serait un comble…

         -Pardon !! C’est moi !! Je… Sabine m’avait donné son adresse lors de nos échanges sur internet. Et comme j’ai fui quelques ennuis… Je cherchais un endroit où me réfugier et donc…

Je n’entendais plus ce qu’il racontait. Je savais juste ce que j’avais à savoir. En gros ce mec c’est une source à emmerdes… Comme si on n’en avait pas déjà assez comme ça… Moi, Sabine me comble déjà avec toutes ses niaiseries et ses bourdes. D’où il sort ce boulet ?

         -Et ? Lui fis-je donc en l’interrompant, tu comptes rester ici pendant combien de… Heu je veux dire, tu comptes faire quoi alors ?

Avec un regard  larmoyant j’assistais une nouvelle fois à une scène où ce mec baissait les yeux, comme s’il voulais attirer ma pitié. Je ne marche pas dans ces conneries là. C’est comme ça qu’on se fait avoir…

         -Ça te dérange si on l’héberge un petit moment, Alex ? Me fait donc Sabine elle aussi avec un regard mouillé…

Elle savait que j’avais horreur de ça… Parce que je passais toujours à ses caprices. Il fallait que je sois forte.

         -J’aimerais savoir si le garder ici nous apportera des problèmes, fis-je en restant concentrée sur l’œuf qui voulait ressembler à une omelette.

Quand je veux lui refuser un truc, il ne faut surtout pas que je la regarde dans les yeux !! Cette petite manipulatrice.

Etrangement, il y eut comme un silence quand je répliquais ça. De nouveau méfiante je lève mes yeux et je regardais cette moitié d’homme juste en face de moi tremblotant comme s’il était en plein hiver. Donc en gros, il a de gros ennuis… Bordel… Je pense que l’autre princesse ne voudra jamais le laisser s’échapper après avoir vu ça. Il fallait que je fasse vite !

         -Ouais bon, tu sens l’embrouille mon gars ! J’ai déjà assez d’emmerdes à moi tout seul, je ne voudrais pas m’encombrer de ceux de quelqu…

Sabine m’attrapa le visage de ses deux fines mains, qui tremblaient également d’ailleurs… Elle n’avait pas besoin de me supplier d’avantage. Je capitulai.

         -Ouais bon, si on a des ennuis, viens pas pleurer après, Sabine.

         -Ouais super ! Alex je t’adore !! Dit-elle en me donnant un bisou sur la joue.

         -Ça suffit Sabine ! Tu t’en occupes !! Est-ce qu’il a de l’argent ? Je refuse d’entretenir un mec !! Je travaille quasi tous les jours !! Ce n’est pas pour qu’un…

         -Ne t’inquiète pas, je m’occupe de tout !

Je crains le pire… Dès qu’elle dit un truc pareil, je dois toujours m’attendre au pire. Bref, quoi qu’il en soit, il n’avait pas l’air dangereux, donc je pouvais bien baisser ma garde chez moi. Mais pas trop quand même.

La journée de repos touchant à sa fin, j’étais comme qui dirait... blasée. Mais quelque chose m’interpellais… Dès que je posais les yeux sur ce Raphaël, il baissait les yeux ou fuyait mon regard. Bah je crois que c’est parce que je l’ai traumatisé. Tant mieux. Il évitera de faire des choses qui m’énerveraient. Je passai donc le reste de ma journée enfermée dans ma chambre, affalée comme une loutre regardant la télé avec toutes les bêtises qui y passent habituellement. C’est chiant. Je crois que c’est lasse de tout ça que je me rendormis. 

J’aime bien les week-ends où je ne travaille pas. Je peux me reposer deux jours d’affilé !! Sereine je me dirige vers la cuisine pour me prendre quelque chose dans le frigo. Et là, j’aperçus quelque chose de très singulier : deux servantes en soubrette et dentelles faisant le ménage et le petit déjeuner…Je suis ravie que Sabine fasse le ménage… Enfin si elle réussit à le faire correctement… Mais pourquoi des soubrettes ? Je restai là un moment, stupéfaite, jusqu’à ce que Raphaël me remarque. Il fit tomber le balai sous l’effet de la surprise. Pourtant c’est bien moi qui devait être surprise. Le temps que Sabine se retourne j’avais déjà disparu. Non, je n’avais rien vu, rien vu du tout !! En repartant dans ma chambre, j’avais bien remarqué que le ménage avait été fait, et correctement de surcroit. Il pouvait être utile finalement… En jetant un œil à la porte d’entrée, je constatai que les ordures étaient toujours là, alors je me résolus à aller les descendre.

J’enfile un bas de survêtement histoire de ne pas sortir en T-shirt et dessous et j’engage le nettoyage sous les yeux amusés de nos voisins. La petite fille de la dame au bout du pallier me salua en passant. Elle avait toujours été aimable malgré le comportement ingrat de sa mère avec nous. Le voisin d’en face allait sortir ses ordures également mais en m’apercevant il me demanda de les descendre pour lui car, semble-t-il, il souffrait du dos… Vu la tonne que j’avais à descendre, un sac de plus ou de moins, franchement… Une fois remontée, le voisin était toujours là, me regardant passer le balai. Je sentais qu’il voulait me dire quelque chose. Son regard oppressant me fatiguait.

         -Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? Lui demandai-je alors.

         -Et bien… Pour le jeune homme qu'il y avait devant votre porte hier soir… Chuchotait-il.

         -Ah ? Lui ? Il est mort, rétorquai-je d’une voix monotone.

Mais qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire ? S’il l’avait vu avant, il aurait pu l’aider ou que sais-je, n’est-ce pas ?

         -Comment !? Mais c’est terrible !! Fit-il donc d’un air surpris débordant d’hypocrisie.

         -Ouais, faisais-je en ouvrant la porte pour rentrer.

Je tombai nez à nez avec Raphaël qui, semble-t-il, allait sortir.

         -Ah bah non ! Il est ressuscité ! Allez salut, faisais-je en entraînant Raphaël à l’intérieur et en claquant la porte au nez du voisin. Tu vas où toi comme ça ? Disais-je alors au frangin de Sabine.

Je le scrutais. Il était toujours en soubrette… Pourquoi voulait-il sortir dehors comme ça… ? J’ai du mal à comprendre. Ils ne font que des trucs pour attirer l’attention ces deux là ! On sentait qu’il était gêné. Qui ne le serait pas ? Du coup, je crois qu’il était rouge de honte avant d’articuler difficilement quelque chose :

         -Grande sœur Sabine m’envoie vous chercher… Alex.

OK. Donc  c’est un petit frère. Mais plus important : c’est quoi ce « vous » ? C’est classe mais tout de même. Pour le mettre à son aise je lui caressai les cheveux – qui d’ailleurs étaient aussi doux que ceux de sa sœur…pourtant ils sont demi-frère et sœur hein, rassurez moi !

         -Ne me dis pas « vous » tu peux m’appeler juste Alex, je ne vais pas te manger.

J’arrivais enfin à dessiner la personnalité du phénomène. Il était encore jeune, peut-être qu’il était martyrisé à l’école, d’où son comportement craintif…Bon peut-être que c’est parce que je l’ai un peu menacé ce matin qu’il a aussi peur de moi mais peu importe ! Il était un peu plus grand que moi, qui suis pas particulièrement petite hein. Et je pouvais enfin voir son visage. C’était un beau jeune homme, on aurait dit Sabine en mec. Ses pansements s’étaient défaits donc je le fis assoir dans le salon pour les lui refaire.

         -Comment tu t’es fait ça ? Finis-je par lui demander.

         -Heu… C’est quelqu’un qui m’a battu… avoua-t-il en retenant son bras droit de sa main gauche tremblante.

Je pouvais deviner qu’il avait été battu par quelqu’un. Ça se voyait, non ? Je voulais plus d’info. Mais il ne semblait pas vouloir en dire plus. Je préférais changer de sujet :

         -C’est quoi cette dégaine ? Lui fis-je en le reluquant de bas en haut. Tu laisses Sabine faire ce qu’elle veut de toi ou quoi ? Avec un air amusé.

         -Heu !! Ça c’est parce que… !!

Il s’illumina. Il voulait me donner une raison. Mais avant de dire quoi que ce soit, il regarda de droite à gauche, comme pour être sûr qu’elle ne soit pas là. Il se rapprocha de moi la tête baissée pour me dire finalement :

         -Je… Je ne sais pas comment lui dire non.

Et hop !! Une autre victime des caprices de Sabine. Comme je le comprenais ! Je lui souris sincèrement tout en lui frottant la tête une fois de plus :

         -Ah, toi non plus tu n’y arrives pas, ha, ha !

On avait finalement brisé la glace, même s’il était vraisemblablement très timide comme garçon. Il était moins tendu. Sabine avait un nouveau cobaye donc elle rayonnait. Et enfin moi j’allais pouvoir avoir un peu de répit dans toute cette histoire.