Shoot 12

Je n’avais jamais eu de grand frère mais Marco me donnait une très forte impression similaire. Il nous rassura, nous cuisina une soupe bien chaude, nous offrit un toit, des couvertures, de la bonne humeur malgré tout ce qui s’était passé là veille…

Raphaël semblait ne pas tenir en place, j’avais l’impression qu’il voulait me demander quelque chose. Quoi exactement ? Ne me demandez pas, je n’en sais pas plus que vous.

            -Alex ? Finit-il par commencer.

            -Ouais ?

            -Il s’est passé quoi dans le bâtiment ? J’ai perdu ton signal quand tu es arrivé au troisième sous-sol à peu près, me disait-il d’un air inquiet.

Je le regardais du coin de l’œil. Marco très attentif également. Qu’est-ce qu’il voulait savoir l’embryon ? On avait ce qu’on voulait : des informations. Le reste  après est inutile… Je n’avais pas envi de lui répondre.

            -Pourquoi ?

Il me regardait intensément, ne comprenant pas le sens de ma question sembla-t-il. Ou plutôt la signification de cette dernière.

            -Heu… Tu étais couvert de sang… La fille était blessée… comment as-tu fait pour t’en sortir indemne ? Commençait-il alors désespérément.

            -Bah je les ai éliminés, qu’est-ce que tu crois ?

Je me surprenais moi-même de la froideur de ma réponse. Mais je crois qu’il était encore plus choqué que moi. Il en perdu la parole, posant de façon inquiète sa main sur sa bouche. Il m’énervait.

            -Quoi ? C’est quoi ton problème ? Tu voulais savoir, alors pourquoi tu fais encore ta chiffe molle ?

            -Mai… Mais… bégayait-il alors.

            -Ne te méprends pas. Je ne les ai pas éliminés pour le plaisir. C’était eux ou moi. C’est comme ça dans ce business. Si tu ne supportes pas, il ne te reste plus qu’à disparaître.

Il baissa alors la tête. Il eut semblé qu’il sanglotait. Il m’énervait vraiment… Il se rapprocha alors de moi craintivement et me présenta son crâne. Mais qu’est-ce qu’il voulait ?

            -Peux-tu me caresser la tête Alex ? Comme avant… S’il te plaît.

Je le regardais d’un air sceptique. Mes yeux tombèrent dans ceux de Marcos. On aurait dit un prédateur. Il me mettait vraiment mal à l’aise… Je m’exécutai alors après un soupir plein de lassitude.

Au final, il s’endormit sur mes genoux. Pire qu’un gamin, franchement. Jusqu’à ce que Marco prenne la parole :

            -Tu es de ceux qui s’enorgueillissent de porter tous les fardeaux sur  leurs épaules ? Tu t’es pris pour un héro ? Tu comptes continuer longtemps comme ça ? Fit-il alors en laissant échapper un filet de fumée de sa cigarette.

            -Pardon ?

            -Je te trouve bien froid pour une gueule d’ange. Tu tiens tant à cette fille ? Tuer pour une cause « juste » je ne dirais pas que c’est bien mais c’est toujours mieux que tuer froidement. Tu es sûr d’être un être humain ? Quand je te regarde, je ne vois pas un psychopathe de quarante piges, loin de là…

Je savais très bien ce qu’il voulait dire, mais…

            -Je n’ai pas de compte à te rendre sur ma façon d’être, Marco.

Après avoir esquissé un sourire il m’adressa ces quelques mots avant d’aller dans sa chambre :

            -Je ne sais pas si c’est cool ou mignon tout ça.

Je n’arrivais pas à lui répondre. Il arrivait à lire en moi comme si j’étais un livre ouvert… Je le sais déjà de moi-même tout ça. Mais même si c’est dur il faut que j’endure… Il faut que je sois forte. Si je m’effondre, comment  vont survivre ceux qui s’appuient sur moi ?

Ceux ? Qui ça «ceux » ? Il n’avait que Sabine quelques semaines auparavant… à présent… Il y a Raphaël… Je ne veux perdre personne…

Je me torturais… Tant et si bien que je me surpris à m’accrocher à Raphaël endormi, comme s’il pouvait faire quelque chose pour arrêter les tremblements de mes mains. Je trouvai alors ses cheveux ce soir là étaient particulièrement doux avec un effet apaisant.

Le lendemain, nous nous étions endormis à même le sol, Raphaël toujours sur mes genoux… J’avais mal aux jambes… Ce n’était définitivement pas une position agréable au final. Marco sortit de la salle de bain. Torse nu, une serviette blanche à la taille, une autre bleue afin de lui sécher les cheveux. Je restai abasourdie devant sa corpulence musclée. Ca change de l’embryon… Il eut semblé qu’il avait oublié qu’il n’était plus seul dans son appart car il semblait très stupéfait en constatant que je le fixais :

            -Ah ouais, vous êtes là c’est vrai…

            -Si c’était pour avoir ce genre de réaction il aurait mieux valu que tu ne nous recueilles pas, espèce de renard, lui rétorquais-je alors.

Il affichait toujours ce rictus moqueur sur son visage, comme si tous les problèmes du monde lui importaient peu. Il me fit signe se me rapprocher… Je voulais bien mais j’avais un boulet sur ma jambe. Il s’approcha alors et emporta Raphaël dans sa chambre afin que l’on se retrouve seuls tous les deux. Je crois qu’il voulait discuter de quelque chose mais je ne pouvais ne pas être méfiante… Je n’ai jamais fait confiance aux hommes depuis « cette époque. »

            -Bon, petit, il faut qu’on parle de choses sérieuses, me dit-il alors d’un air grave.

            -Oui, je suis tout’ ouï…

            -Je pense qu’il vaut mieux mettre carte sur  table avant d’entreprendre quoi que ce soit, entama-t-il alors.

Entreprendre quoi ? Il m’inquiète là. Je n’ai rien envi d’entreprendre avec lui, moi.

            -Je suis un tueur à gage, personne ne sait que je m’appelle Marco, en général, on me surnomme « Scar. »

Je m’attendais déjà à un truc dans le genre étant donné qu’il avait éliminé les mecs qui séquestraient Raphaël, mais l’entendre le dire de lui-même me mettait vraiment mal à l’aise. Pourtant, fière comme je l’étais je ne lui montrai pas. Tout du moins j’essayais… S’il se rend compte que j’ai peur, peut-être changerait-il de comportement on ne sait jamais… C’est comme se trouver dans la cage d’un fauve…

            -Ma cible actuelle est Mister K alias Widget.

            - !!

Je ne pus masquer ma surprise…

            -Et oui. Je ne te dirai pas qui est mon commanditaire, secret professionnel hé, hé. Mais nous pouvons dire que notre objectif est similaire. Je suis surpris que tu ais réussi à récupérer autant d’informations à son sujet en si peu de temps.

            -Pourquoi tu me dis tout ça ? Lui dis-je alors en l’interrompant.

            -Ca ne se voit pas ? Il me semble que tu es quelqu’un de plus perspicace que ça. Si vous y aller tous seuls, vous vous ferez éliminer sans peine, sang froid ou pas, me dit-il alors en m’attrapant le menton et me dévisageant d’un air amusé.

            -Tu proposes de travailler ensemble ? Pourquoi ? Qu’est-ce que ça te rapporte ? Avoir des bleus avec toi fait parti de tes habitudes ?

J’étais sceptique. Pourquoi ? Mais pourquoi ? C’était une aubaine, ce mec était un pro, l’avoir dans notre camp ne pouvait être que bénéfique, mais je ne voulais pas l’admettre…

            -Je ne fais pas que tuer des gens, hein ! J’ai envi d’aider des jeunes comme vous, pourquoi y vois-tu quelque chose d’obscure ?

Il avait l’air de bouder. Comme si ce que je lui avais dit l’avait vraiment offensé.

            -J’ai toujours fait cavalier seul, ça me changera un peu. De plus je veux voir jusqu’où tu vas aller… Tu m’intrigues beaucoup petit, dit-il alors en posant son front contre le mien.

Il était plus grand que Raphaël et moi. J’avais du mal à soutenir son regard, mais c’était une bataille de nerfs. Mon rythme cardiaque s’accélérait à vu d’œil. Il me testait. C’était vraiment un fauve. Et moi son sujet d’expérience. Mais je refuse de danser sur la paume de quelqu’un d’autre. Je me montrerai plus forte que lui ! Il me provoquait et bien…

            -Qu’est-ce que vous faites ? Fit alors une voix provenant de l’autre bout de la salle.

La pression se relâcha dans la seconde.

            -Raphaël ? Tu t’es enfin réveillé ! Lui fis-je alors gênée.

De quoi exactement, je ne le savais pas moi-même… Mais il nous regardait d’un air suspicieux. C’était quoi son problème ? Va savoir pourquoi je me sentais une nouvelle fois mal à l’aise. Marco avait l’air de s’amuser de la situation.

            -Guerre des nerfs mon petit !! Alex c’est un coriace, hé, hé.

Il tentait d’adoucir la situation, là, pas vrai ? Il se rapprocha alors de Raphaël et lui fit la même chose. Mais ce dernier s’éloigna de lui comme s’il avait la peste. Encore une réaction démesurée…

            -Raphaël. Marco veut nous aider à récupérer Sabine.

Il en tomba à la renverse. J’avais vraiment beaucoup de mal à le comprendre parfois…

Plus tard, Marco nous dévoila toutes les informations qu’il avait recueillies sur sa cible : il connaissait « la planque. »  Il nous expliquait qu’il fallait que nous opérions tard dans la soirée.

En fait, Widget profitait de la proximité de ses entrepôts avec les transports ferroviaires et maritimes afin d’établir son trafic. Donc le site était hautement surveillé, le jour comme la nuit. Nous y infiltrer promettait d’être une tâche ardue… Après nous avoir montré le plan du site – plan dont je me demande comment il l’a obtenu d’ailleurs – afin de nous expliquer la marche à suivre.

En fait, par pure coïncidence, nos projets correspondaient avec ceux de son groupe. Je dis bien groupe, car en effet, pour ce genre de gros poisson, c’est une société anonyme, son commanditaire qui se fédérait pour faire tomber la bête.

De mon point de vue, cette société devait très certainement travailler dans le but de purger la vermine mais il nous a bien laissé comprendre qu’il ne faisait pas que des choses biens…

En gros ils seraient plusieurs sur le coup, lui, sa tâche était d’infiltrer l’antre de l’ennemi afin que le reste de l’équipe lance l’assaut. Celui sur lequel reposait toute l’opération quoi. Il devait avoir des responsabilités insoupçonnées en dépit de sa nature désinvolte et décontractée.

En gros, on devait l’accompagner dans l’infiltration. Moi je voyais cette tâche comme toute désignée mais Raphaël voulait absolument nous accompagner…

            -C’est de ma faute si Sabine et toi vous vous retrouvez dans cette situation !! Je veux faire quelque chose pour me racheter !!

Mais personne ne t’a demandé d’en faire autant… Enfin je veux dire… Vous le voyez, vous, sur le champ de bataille ? Moi j’ai de gros doutes, pourtant Marco voulait lui donner sa chance.

            -Très bien tu seras en soutien, lui fit alors Marco avec un sourire plein de tendresse.

            -Merci !!!

Suis-je la seule personne à avoir des spéculations à ce propos ? Il ne sait même pas manier une arme… Mais ce qui m’interpella le plus à cet instant c’est ce sentiment doux qui émanait de Marco quand il regardait Raphaël. Raphaël pouvait être une bille et ne se rappeler de rien, mais Marco le connaissait. J’en étais persuadée désormais. C’est vrai quoi. Il aurait pu le laisser crever avec les autres, pourtant il a été le sauver. Il y avait quelque chose qui se tramait. Ca pouvait expliquer mon malaise constant. Surtout quand Raphaël ne faisait que s’accrocher à moi. Il s’est pris pour  quoi ? Un koala ? Aussi collant que sa sœur !!!

Sœur ? Il y avait des points obscurs. J’ai grandi avec Sabine, pourtant je ne me rappelais pas de lui. Il y avait des zones d’ombres dans tout ça. Je n’aimais pas ne pas être sûre de certains faits…

Peut-être réfléchissais-je un peu trop ? De toute façon je refusais de dévoiler mon passé et mes secrets, alors je n’avais aucun droit de connaitre les secrets des autres… C’est comme ça que je me suis endormie l’après-midi, au côté de Raphaël. Sa présence m’apaisait désormais. Puisse-t-on délivrer Sabine pour nous enfuir loin, très loin après. Nous refaire une vie, loin de tout ça.

En fait, à y regarder de plus près, on allait risquer notre peau ce soir… On pourrait y laisser des plumes… Nous ne sommes pas immortels… Cette idée me donna des frissons… De plus on ne savait pas dans quel état on retrouverait Sabine… Mes mains tremblaient… Comme ce jour là… Le jour où j’avais mis fin de me propre main à mon enfer… Dire que je m’efforçais de ne plus y penser.

Raphaël sortit de nulle part et me saisit les mains qui ne cessaient de trembler. J’étais tellement surprise que je fixais nos mains, les siennes chaudes, les miennes froides. Qu’est-ce que… Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Je n’en suis pas sûre moi-même. Mais il posa ma tête sur son buste, il me baisa le front, me caressa les cheveux et me murmurait des mots rassurants… C’était vraiment Raphaël ? De peur d’être déçue je ne relevai pas les yeux. Des bras aussi accueillant, aussi rassurant…. Voilà bien des années que je n’en avait vu.

Mes tremblements s'arrêtèrent.