Part 13

Le lendemain en début de soirée Kelvian ouvrit les yeux. Il ne se rappelait plus trop ce qui c’était passé. Il avait vraisemblablement perdu connaissance. Il avait l’épaule bandée. Il avait bel et bien été soigné mais il avait beau vouloir faire le fier son corps ne tromperait personne même pas lui-même. Il tenta de se relever mais la douleur lui somma de rester cloué au lit. Et nul ne pouvait mesurer l’étendue de sa surprise lorsqu’il aperçut une jeune femme traversant devant la porte de la chambre.

« C’est qui ?  Je suis bien toujours chez Nicolas, non ? » Assoiffé de curiosité il s’entêta à se relever jusqu’à ce que la jeune femme le surprit en repassant devant la porte :

            -Ah ! Mais vous comptez aller où comme ça ?!

Kelvian resta figé par le fait que quelqu’un qui lui était totalement inconnu lui hurla dessus comme on le ferait pour un enfant turbulent sur le point de faire une bêtise. Du coup il resta silencieux, fixant la jeune femme d’un regard traduisant son incompréhension.

            -Vous vous réveillez enfin ! Ne bougez pas, vous vous êtes bien esquinté l’épaule, je me demande comment vous avez fait votre affaire !

La  jeune femme, un peu rustre parlait si fort que Kelvian plissa un peu des yeux pour écouter ce qu’elle avait à lui dire, tant sa voix résonnait à travers son crâne.

            -C’est M’sieur Nicolas qui va être content, il était vert toute la journée !

            -Où… Où est-il ?

            -Ah bah vous savez parler mon bon monsieur, je vous croyais muet, bonjour, bonjour, je suis la voisine du dessus !!

Kelvian se disait bien que son visage lui était familier.

            -Ah oui, pardon. Bonjour…

            -Nicolas est parti faire des courses, il sera là dans pas longtemps. Il était tout paniqué ! C’est bien la première fois qu’il venait me demander un service, je croyais qu’il était associable !

            -Ah oui ? Vraiment ?

            -Bah, vous vous êtes évanoui hier dans la soirée à cause de ce que vous vous êtes fait à l’épaule, et comme je suis infirmière je n’ai pas pu dire non à ce beau garçon ho, ho !

            -Ah, vraiment ? Merci  beaucoup pour votre sollicitude, madame la Voisine du dessus.

            -Vous pouvez m’appeler Karen.

            -Merci beaucoup Karen.

            -Vous devez être quelqu’un de super important pour le p’tit Nico ! Je vous jure que tout l’immeuble à sursauté quand il est venu me voir.

            -Ah, c’est mon meilleur ami, fit-il d’un sourire forcé.

            -Je voulais appeler les pompiers mais il a refusé catégoriquement. C’est vraiment très étrange votre histoire là, j’espère que vous ne lui causerez pas de soucis… Vous n’êtes pas un mafieux recherché par la police par hasard ? Lui dit elle alors d’un air suspicieux.

            -Oh ! Non, non, pas du tout, ne vous inquiétez pas, ha ! Ha ! Aoutch !

            -Ah oui, faut pas trop vous agiter mon bon monsieur. Tiens d’ailleurs il va falloir que vous avaliez ça, dit-elle en lui donnant des comprimés et un verre d’eau. Je vais vous passer un peu de pommade et vous refaire votre bandage.

            -Vraiment ? Merci beaucoup, vraiment.

            -Bah de rien. Je lui dois bien ça au p’tit Nico.

            -Comment ça ? Fit donc Kelvian suspicieux.

            -Il est un peu sauvage mais il a un bon fond, il a aidé mon fils et moi-même à trouver un logement quand tout le monde nous jetait à la porte. Je lui en serai toujours reconnaissante. On en trouve plus des comme ça de nos jours, ha ! Ha ! Ha !

            -Je suis de votre avis, fit-il en ingurgitant son comprimé.

Il savait que Nicolas avait un bon fond, mais à cause de son sale caractère beaucoup de gens se méprenaient sur sa véritable personnalité. Kelvian était à la fois heureux et embarrassé de savoir que quelqu’un avait reconnu son bon fond.

            -Apparemment vous vous êtes déboité l’épaule mais, comment vous vous y êtes pris ?

            -J'ai retenu une personne qui allait tomber dans les escaliers,  et j’ai eu en contre partie une mauvaise chute.

            -Oh !! C’est malheureux tout ça ! Mais pourquoi ne pas vous êtes fait soigner de suite ?

            -Je n’avais pas aussi mal que maintenant donc j’ai pensé que ça pouvait attendre.

            -Et pourquoi ne pas être allé à l’hôpital une fois que ça devenait plus douloureux ? Seriez-vous masochiste sur les bords ? Un grand garçon comme vous tout de même !

            -C’est un secret, lui dit-il alors avec un regard enjôleur.

            -Oh ! Vous m’avez l’air d’être un tombeur de dames vous, ce genre de regard ne marche pas sur les vieilles biques dans mon genre désolée mon p’tit gars ha !  Ha !

            -C’est ce que je constate, lui dit donc ce dernier d’un regard dépité tout en s’esclaffant dans la douleur. Je suis content de savoir qu’il y a du monde dans son entourage qui veille un peu sur lui.

            -Pardon ?

            -Je parle de Nicolas.

            -Ah, oui, il est vrai qu’il nous mène la vie dure le p’tit ! Mais quand on le regarde bien on voit bien qu’il n’est pas bien méchant au fond.

On entendit des bruits de pas puis quelqu’un s’exclama :

            -Vous n’avez pas fini de parler dans le dos des gens ?

            -Oh ! Nico~ fit donc Kelvian en s’agitant comme un enfant alors que Karen lui refaisait son bandage.

            -Ouais c’est moi, t’es le mec le plus stupide que je connaisse !

            -Pouah tu es dur avec moi~ fit-il toujours en gigotant sur le lit.

            -Non mais qu’est-ce que tu cro…

            -C’est pas bientôt fini oui !!? Fit  alors Karen et lui donnant une baffe derrière la tête afin qu’il arrête de bouger inutilement.

Nicolas et Kelvian restèrent abasourdis par ce qui venait tout juste de se produire. D'aussi loin qu’il s’en souvienne, jamais personne n’avait daigné le frapper de la sorte, Kelvian était tellement choqué qu’il enfonça sa tête dans l’oreiller.

            -Karen… Vous soignez tous vos patients comme ça ? Dit alors Nicolas.

            -Hein ? Qu’est-ce que tu dis ? Lui dit-elle avec une tête de mafieux. Les mecs comme lui, qui n’écoutent pas ce que leur corps leur dit, n’ont pas besoin qu’on prenne de gants avec eux ! Pas vrai M’sieur le tombeur ? Susurra-telle dans son oreille tout en l’empêchant de s’étouffer volontairement ; on ne sait jamais.

            -M’sieur le tombeur ? Il s’est passé quoi pendant mon absence ? Fit donc Nicolas sceptique.

            -Rien du tout ! Dédaigna donc Kelvian d’un air triste, c’est la première fois que je tombe sur une mémé qui ne rougit pas face à mon charme et tous mes phéromones… Tu as été dur avec moi Nico, vraiment…

            -Hein ?

            -C’est qui que tu traites de mémé, hein ? Fit-elle en lui pinçant les oreilles. J’ai pas encore 50ans je te préviens alors fait gaffe à ce que tu dis, grrr !!

            -Aaah, c’est un tyran ! Je ne savais pas qu’il y avait toujours d’authentiques descendants des hommes des cavernes à notre époque ! Nico j’ai peur !

Nicolas regardait la scène abasourdi, malgré tout ce qu’il disait, Kelvian avait l’air de s’amuser avec l’authentique Karen qui martyrisait le pauvre blessé de plus belle. Cela faisait longtemps que Kelvian n’avait ri aussi sincèrement. Nicolas fut touché mais aussi jalousement embarrassé, car avec lui, il ne riait plus de la sorte.

              -Hey, ça suffit tous les deux ! C’est pas le moment de jouer !

              -Ce garnement m’a traité de mémé, il FAUT que je le martyrise !! Annonça-t-elle amusée également. 

Un peu plus tard, Nicolas et Karen avaient laissé Kelvian se reposer. Hébergeant un malade, Nicolas avait décidé de faire de la cuisine fait-maison, mais ce dernier n’était pas très doué en tâche ménagère, c’est pourquoi Karen l’assistait amusée. Ni elle ni lui ne savaient ce qui était arrivé à Kelvian, ni pourquoi il n’était toujours pas décidé à en parler, mais ils passaient un agréable moment ensemble et c’est ce peu qui importait à cet instant.

Finalement, les trouvant longs et ne réussissant pas à s’endormir Kelvian se traina dans la cuisine où il y découvrit un jeune éphèbe et une mémé, tous deux en tablier. À cette vision il en tomba à la renverse, jamais il n'aurait cru voir ça un jour. Quand Karen et Nicolas accoururent vers lui, lui demandant si tout allait bien, il leur dit :

            -Trop top le couple en tablier ha ! Ha ! Ha !

            -Hein ? Dit donc Karen stupéfiée par la bêtise de Kelvian.

            -Tu… Tu te fous de moi ? Rétorqua Nicolas outré par cette remarque.

            -Nico… Nico en tablier…pfrr accompagné par une gentille mémé… Il faudrait immortaliser ce moment vraiment ! Oups je ne peux pas prendre de photo. Où est mon téléph… Il s’arrêta quand il sentit des auras malveillantes à son égard.

            -Je ne t’ai pas encore fait connaître l’enfer en ce bas monde mon petit oiseau égaré, grinça donc Karen.

            -Heu ? Fit donc ce dernier en souriant innocemment.

            -Kelvian tu es vraiment détestable, dit alors Nicolas en le prenant au pied de la lettre.

            -Hé ? Heu… Vous n’avez pas compris la blague ? Fit donc Kelvian aussi surpris qu’eux.

            -Quelle blague ? Depuis quand les patients se moquent de ceux qui les soignent ?

            -Ah !!? Non, non ! Je vous en suis très reconnaissant, mais c’est juste que découvrir ce côté attachant de Nicolas, le rend si attendrissant, on aurait dit des frères et sœurs, ou une mère et son enfant !! Je n’ai pas l’habitude de faire des blagues mais bon, tout de même…

Nicolas s’était précipité près de la cuisinière, feintant de n’avoir rien entendu. Croyant qu’il était froissé Karen reprit :

            -Même si tu penses comme ça il y a des choses à dire et à ne pas dire !! Regarde, tu as froissé le p’tit Nico !! Fit-elle rouge pivoine, la remarque de Kelvian lui avait fait très plaisir.

            -Ah bon ? Fit Kelvian avec un regard perçant en direction de Nicolas, il connaissait son oiseau. Vous pouvez m’aider dame Karen ?

            -À quoi donc ?

            -À me relever voyons, je suis tombé, je suis endolori de partout !

            -Alors là, compte là-dessus mon grand ! Un homme qui n’écoute pas ce que lui dit son corps pourrait très bien se débrouiller seul !!

            -Mais !! Mais j’ai beaucoup appris de vous chère Karen ! À présent je suis à l’écoute de mon corps, il me fait tellement souffrir !! J’ai l’impression d’être en vie ! Désormais mon corps me dit d’aller m’excuser auprès de Nicolas pour l’avoir tant froissé !

            -Hein ? Mais qu’est-ce que tu baragouines ? Dit-elle d’un air dépité.

Kelvian plissa les yeux deux secondes et se décida à enfin se relever tout seul en direction de Nicolas. Nicolas le sentant se rapprocher devint très soudainement maladroit, jetant un ou deux ustensiles par terre. Quand Karen retint Kelvian :

            -Attends ! Tu essayais de m’embobiner pas vrai ? Tu voulais me faire croire que…Non mais tu es le plus grand beau parleur que je connaisse !! Vas au lit, chenapan !!

            -Hé ? Ah ? Nan ! Je ne me suis pas encore excusé auprès de Nicolas~ disait-il en se faisant emporter dans la chambre.

            -Et puis qu’est-ce que tu entends par attachant ? Attendrissant ? C’est bien la première fois que j’entends un homme parler ainsi d’un proche. Il va falloir que je te tienne à l’œil, lui fit-elle donc regard inquiétant.

            -Oui mais Nico c’est pas pareil~

            -C’est cela, c’est cela, les malades vont se coucher, lui dit-elle en l’emportant.

Kelvian se faisait donc emporter en se démenant sans vraiment se démener, comme un enfant turbulent avant de croiser le regard mouillé et le visage rouge comme une pivoine de Nicolas qui s’était enfin décidé à se retourner.

-Hé !?

Kelvian fut tellement surpris de lui connaître une expression aussi attirante qu’il résista un peu avant de disparaître après s’être fait frapper sur la tête. 

Kelvian  s’installa sur le lit de Nicolas comme le lui  avait sommé Karen. Pourtant, juste quelques instants auparavant ils chahutaient ensemble, et bien là, l’ambiance devint pesante. Ils ne disaient plus un mot, Kelvian aurait bien voulu la tourmenter encore un peu, mais il ressentait quelque part que ça aurait été déplacé. 

            -Kelvian… 

            -Oui !? Sursauta-t-il. 

            -C’est bien Kelvian, hein ? 

            -Heu… Oui ? Fit-il donc perplexe. 

            -Heu… Comment dire… 

Plus elle parlait moins il comprenait la situation. Il se demandait s’il n’avait pas loupé un détail quelque part. S’attendant un peu à tout, il restait méfiant. 

            -Nicolas est toujours comme ça ? 

            -Hein ? Heu… Je veux dire pardon ? 

            -Il est… Vraiment très différent de ce qu’on pourrait imaginer. Il n’est comme ça qu’avec toi, pas vrai ? 

Kelvian resta silencieux mais heureux. L’instinct féminin était vraiment une chose extraordinaire. 

            -Tu es son meilleur ami ? Quand il s’ouvre vraiment pour quelqu’un c’est donc comme ça qu’il se comporte ? Vous devez être quelqu’un de formidable, lui dit-elle alors avec un tendre sourire. 

Ce sourire le fit frissonner  quand il la vit s’approcher de lui dangereusement dans le but de le coucher. Il songea à la façon dont il se fit agresser par le jeune « William Borel ». Il voulait se protéger mais son épaule meurtrie le titilla et puis finalement elle lui étendit juste la  couverture afin qu’il n’ait pas à le faire lui-même.

            -Kelvian ne s’approchera pas de Nicolas tant que je serai là, comme ça tu ne te blesseras pas inutilement.

            -Pardon ? Fit-il donc surpris. 

Mais elle était déjà partie. 

            -Elle… Elle voulait dire quoi par là ? Hé, hé, j’ai l’air si avide que ça ? Ça faisait longtemps que je n’avais autant ri. 

Il finit par s’assoupir.