Part 5

Kelvian passa une nouvelle semaine à l’hôpital avant de se décider à rentrer chez lui. Il rentra, s’excusa de son comportement auprès de ses parents et reprit son train de vie quotidien. Il ne savait pas encore comment s’y prendre pour tirer les vers du nez de sa mère. Elle était sa mère. Il savait à quel point elle était rusée. Elle n’était pas à la tête de la famille Kinine pour rien. Les Kinine étant eux-mêmes de grandes personnalités publiques, Kelvian se rendit compte que ce n’était pas si surprenant qu’elle soit en contact avec des mercenaires modernes de la trempe de « William Borel ». Non, Emmanuel. Il ressassait donc calmement, chaque nuit, n’ayant pas de temps pour le faire la journée, tous les éléments de cette étrange affaire. Tout d’abord un mercenaire qui doit le faire tomber. Une Hélène soit disant innocente mais qui semble au courant de tout ce qui se trame. Kelvian avait été tellement préoccupé par sa petite personne que beaucoup d’éléments lui avaient échappés. En mettant tous les éléments bout à  bout, il avait la sensation qu’il y avait un coup monté à son encontre. Qu’il y en ait contre lui n’était pas si surprenant étant donné sa position sociale, mais que cela provienne au sein même du groupe, de sa famille, le laissait perplexe au plus haut point.

De plus, il ne s’était pas vraiment entretenu avec Nicolas pour discuter du problème. Pourtant, comme auparavant, ils se voyaient tous les midis pour le déjeuner, ce n’était pas l’occasion qui manquait. Nicolas, lui, voulait savoir, mais se satisfaisait de la situation actuelle. De peur que Kelvian, en y réfléchissant bien, puisse rejeter la relation qui pouvait encore éclore entre eux. Nicolas ne pouvait s’empêcher de douter de Kelvian tout simplement car il savait que c’était difficile pour lui. Il y avait tellement de choses liées à Kelvian qui entravaient ses mouvements alors que lui n’avait aucune préoccupation de ce genre. Il le savait, c’est pour ça qu’il tentait de se préparer au pire. Toutefois en se rappelant leur séparation factice de l’autre jour, il se disait que quoi qu’il advienne, il n’y survivra pas. Trop de temps, trop d’années ont passé pour qu’il espère ne serait-ce qu’une étincelle ne naisse dans le cœur de Kelvian. Perdre cette éclosion le rendrait fou. Il préférait éviter d’y penser.

Ce jour là, beaucoup de temps s’était écoulé depuis le week-end « sanglant. » Karen était sortie de son coma mais ne se rappelait plus de certains détails. Comme le week-end « sanglant » par exemple, pour le plus grand bonheur de nos deux complices. Ils déjeunaient donc en ce vendredi midi. Comme à leur habitude.

       -Les placements immobiliers sont dans des postions favorables aux vues des dernières tendances, tu as vu Kelvian ?

       -Ouais, la ville est en train de s’émanciper financièrement, je pense que les taux des valeurs du mètre carré vont s’envoler à la fin de l’année, finit-il en buvant délicatement son café.

Nicolas était dépité par sa réponse. Kelvian le remarqua du coin de l’œil avant de dire :

       -Tu t’en fous des tendances, pas vrai ? Ha ! Ha !!

       -Ouais je pensais que tu ne voudrais pas parler de travail… Tu n’es vraiment pas marrant.

       -C’est toi qui est trop prévisible, Nico.

       -Tu me fatigues à toujours le répéter…

       -Tu fais quelque chose ce week-end ? Demanda donc Kelvian tout en sirotant son expresso.

       -Non, pas grand-chose. J’ai prévu de faire mon célibataire déprimé et de me gaver de cookie en regardant des films tout le week-end… Et toi ?

Kelvian, toujours la tasse à la main, regarda Nicolas une seconde, deux secondes, cinq secondes avant de poser sa tasse sur la table puis de s’esclaffer de rire. Nicolas posa donc sa main sur son front en soupirant.

       -Te… Te gaver de cookies !! J’adore !!

       -Ouais, ouais, si c’est ce que tu as retenu…

       -Mais des cookies, vraiment hé, hé. Tu as fait fort, je ne m’y attendais pas du tout !

       -Je vois ça… Et toi tu comptes faire quoi ? Lui demanda-t-il d’un air boudeur.

       -Bah rien, je comptais faire un truc dans le genre « manger des cookies devant la télé » ha ! Ha !

       -Tu arrêtes de te moquer ? Je ne vois pas en quoi c’est si drôle ! S’énerva Nicolas.

       -Je ne rigole pas, c’est vraiment ce que j’avais prévu de faire, Nico. C’est pourquoi tu m’as surpris. Pourquoi tu t’énerves dès que je dis quelque chose ?

       -Je… Je ne m’énerve pas… rétorqua donc ce dernier en détournant le regard.

       -Tu aimes te faire courir après Nico~ Combien de fois faudra-t-il que je te le dise, dit donc Kelvian en lui faisant du pied au beau milieu du café.

Nicolas lui lança un regard furieux  avant de rebaisser les yeux.

       -Je t’ai dit que quand tu réagis ainsi, j’ai une atroce envie de te taquiner et pourtant tu continues… Dit alors Kelvian d’un air amusé.

       -C’est peut-être parce que j’aime quand tu me taquines…

       -Pardon ? T’as dit quoi ? Fit donc Kelvian interloqué.

       -Non rien…  Lâcha donc Nicolas la voix brûlante.

       -Je vois, annonça-t-il tout sourire.

Nicolas se sentit mal à l’aise par le silence qui suivit cette partie de leur conversation. Kelvian ressentait une terrible envie de le taquiner une nouvelle fois mais préféra reprendre son sérieux.

       -Donc c’est ce que font les célibataires déprimés de leur week-end…

Nicolas le regarda donc inquiet par sa réplique. Il se demandait ce qu’il dirait ensuite.

       -J’avoue que vu comment je me comporte et tout ce qui se passe en ce moment, on ne peut pas vraiment se considérer comme des amants et encore moins comme un couple. On en est toujours au stade de « meilleurs amis. » Ça te plaît, toi ?

Nicolas écarquilla les yeux. Sans voix. Perdant ses mots avant même qu’ils n’éclosent. Quelle réponse attendait-il de lui ?

       -Evitons de parler de ça ici, Kelvian, veux-tu ? Fit donc ce dernier déconfit.

       -L’autre jour, à l’hôpital, Hélène m’a dit qu’elle me tuerait si je te laissais mon cœur…

Son cœur se serra alors.

       -Elle m’a beaucoup surpris, je ne m’y attendais pas du tout. Sachant que juste avant, tu me disais que je pouvais bien faire ce que je voulais de mon corps mais que mon cœur t’appartenait. J’ai trouvé ça tellement mignon.

Pour une fois, Nicolas, au bord des larmes, ne le fuyait pas des yeux. Il voulait l’affronter, lui et son dilemme à parts égales.

       -Nico, il s’est passé quelque chose entre vous ?

       -Hein ? Heu… Je ne crois pas non… Je n’ai jamais fait quoique ce soit de particulier avec elle, surtout depuis que j’ai appris qu’elle était ta fiancée…

       -Oh !! S’estomaqua donc Kelvian.

       -Quoi !?

       -Tu as connu Hélène comment ? Tu la connaissais déjà avant de savoir qu’elle était fiancée avec moi ?

       -Bah ouais, quand on était en seconde, nous avons été dans la même classe, toi tu étais dans la classe élite. On n’a pu l’intégrer qu’en première avec nos résultats scolaires. Mais ça remonte… Pourquoi tu me demandes ça. On était camarade de classe mais je n’ai jamais posé les yeux sur elle…

       -Hum, je vois…

       -Tu m’écoute quand je te parle ? Faisait Nicolas à bout de nerf.

       -Toi non, mais… Ah oui ! Mais tout s’explique !! Annonça donc Kelvian en claquant des doigts.

       -Mais quoi !? Nicolas haussait la voix dans le café.

       -Tu n’as jamais trouvé ça bizarre qu'elle se soit rendue compte que tu m’aimais ? S’adressait donc Kelvian à Nicolas en pointant sa touilleuse dans sa direction.

       -Heu… Tu sais, les gens en détestent d’autres parfois sans raison.

       -Pouah~ Le mec trop crédule, attend je présente mon hypothèse. Moi, je pense qu’elle avait des vues sur toi quand vous étiez en seconde, avant même qu’elle ne sache qu’elle serait fiancée. Et qu’à force de te regarder, elle a découvert que tu étais gay… heu pardon, que tu avais des sentiments pour un garçon et que…

       -Je vais te tuer Kelvian, je vais te tuer, lui lança donc Nicolas d’un regard acéré.

       -Attends, tue-moi si tu veux mais laisse-moi finir hé, hé ! Donc elle n’est jamais venue se dévoiler à toi et plus tard quand elle apprend qu’elle était fiancée au mec que tu aimais, bah elle n’a pas supporté !!

Nicolas le regardait à la fois dépité et dégouté à cette idée. Toutefois, en y réfléchissant bien, sa théorie se tenait. Alors il fixa Kelvian stupéfait.

       -Tu vois ? Je savais que l’amour commençait par la guerre !! Ou… le contraire se tient aussi ha, ha !

       -C’est tout l’effet que ça te fait !? J’en frissonne tellement c’est déroutant cette histoire là !!

       -En tout cas, je comprends pourquoi elle ne veut pas perdre face à toi, lui fit donc Kelvian tout sourire.

       -Tu es trop optimiste à mon goût, Kelvian. Et bien quoi ? En quoi ça nous avance ? Disait Nicolas dérouté.

       -Et c’est moi le pivot de toute cette histoire… Tu ferais quoi à ma place Nico ?

       -Hé ? Figé sur place.

       -J’ai beaucoup réfléchi à  l’état de la situation, et j’ai appris à vous aimer tous les deux. Du coup, quand elle me demandait de faire un choix, elle me demandait de choisir entre vous deux. C’est beaucoup plus marrant d’être avec toi, j’aime te taquiner, j’aime tes réactions, c’est marrant. Hélène est une travailleuse forcenée, elle accorde beaucoup d’importance à son apparence et à ce que pensent les autres d’elle, de nous, de plus elle m’a toujours été dévouée malgré toutes mes infidélités… Si je vous choisissais tous les deux ça m’arrangerait, mais ni toi ni elle ne l’accepteriez, n’est-ce pas ?

Nicolas, toujours figé sur son siège, était dos au mur. Il savait déjà tout ça, il le savait. Il savait que c’était difficile pour Kelvian. L’homme au destin tracé à l’avance. Il savait qu’il pourrait le regretter, s’il faisait un choix. Bien entendu, il aurait moins à perdre en le rejetant. Mais ça, Nicolas ne pouvait pas l’accepter. Le regard de Kelvian devint insistant. Il finit donc par dire :

       -Et si nous commencions par être amant ? Fit-il en lui prenant la main timidement.

Tant de candeur troubla Kelvian. Pour la première fois, celui-ci se sentit gêné et était rouge comme une pivoine. Ce petit air apeuré qu’avait Nicolas en permanence en sa présence, avec tous ses sentiments, l’avait atteint en plein cœur. Et lui, qui habituellement savait rester placide en toute circonstance, fut bien décontenancé. Nicolas le regarda donc très surpris par sa réaction. S’en rendant compte, au travers de la réaction de ce dernier, il posa son autre main sur sa bouche avant de dire :

       -Je… Je vais faire un tour aux toilettes…

Nicolas lui fit un signe de la tête pour acquiescer, ne le quittant pas des yeux une seule seconde, béat d’admiration pour cette nouvelle expression qu’il découvrait de ce dernier. Il était aux anges.

Aux toilettes, Kelvian posa ses mains sur le lavabo, se rinça le visage, mais il était trop heureux pour s’en cacher.

       -Ha, ha, merde, il va se foutre de moi cette fois ci !

Un silence pesa un instant.

       -Mais qu’est-ce qu’il m’a fait là !? C’était trop mignon ! Aaah je ne m’y attendais pas du tout !! Je me suis fait avoir, je me vengerai de ce coquin, il verra.

       -Vous avez l’air d’être ravi, fit une voix qui venait de s’introduire dans les toilettes des hommes.

Les yeux de Kelvian se rapetissèrent à l’écoute de cette voix.

       -Encore vous ! Fit donc Kelvian en se retournant brusquement vers Emmanuel.

       -Et oui, c’est bien moi. Vous aviez l’air un peu trop heureux, il fallait que je fasse quelque chose, fit donc Emmanuel en ôtant ses lunettes de soleil.

       - Vous êtes là pour me pourrir la vie, pas vrai ?

       -Non, du tout. Je suis juste là pour jeter un œil à vos faits et gestes. Je suis payé pour, je ne suis pas un arnaqueur, lui dit-il alors d’un sourire innocent.

       -Tout ce que vous êtes me répugne, fichez-moi la paix !

       -Allons, allons, vous voulez vraiment que je rapporte ce que j’ai observé aujourd’hui à mon client ?

Kelvian plissa des yeux tout en le regardant en disant :

       -Parce que je peux vous acheter des informations ? Qu’est-ce qui me garantit que vous ne me faites pas marcher ? Et puis NON !! Vu l’individu que vous représentez, je suppose que la moindre information a un prix, je ne suis pas prêt à vendre mon corps pour ça !

Emmanuel frissonna à ces mots en se tenant le visage de ses deux mains, ses joues rosées par l’excitation que lui procurait Kelvian, juste en parlant… Kelvian commençait à connaître le phénomène, il refusait de rester un instant de plus dans la même pièce que lui, il refusait d’être à la portée de ses bras petits mais efficaces. Il savait retenir de ses erreurs. Emmanuel bloquait la porte d’entrée et donc de sortie. Comment faire ?

       -D’après ce que j’ai compris de votre journée et votre conversation, monsieur Kinine, vous souhaitez allez plus loin avec lui, n’est-ce pas ?

       -Vous savez quoi exactement ? Demanda donc Kelvian perplexe.

Emmanuel lui sourit en semblant lui dire que toute information a un prix.

       -Ouais bon, ok je vois le truc, vous êtes vraiment un charognard vous le saviez ça ?

       -Il le faut pour mon métier. Alors que pouvez vous m’offrir ?

       -Heu il faut d’abord que je sache ce que je veux, je me demande si faire des cachoteries dans l’état où sont les choses, ça servira à quelque chose.

       -Si je vous disais que je n’ai rien dit en ce qui vous concerne vous et votre ami, est-ce que cela vous satisfera ?

       -Quoi ? Et comment je peux savoir si tout ce que vous dites ne sont pas des mensonges ?

       -Pourquoi vous mettre en scène avec un autre homme dans ce cas ? Oups !

Kelvian s’arrêta net et se rapprocha de lui en posant sa main sur son épaule :

       -Comment !?

       -Vous me faites contrarier mes principes monsieur Kinine, ce n’est pas bien.

Ce lapsus était très significatif, il fallait agir vite.

       -Je ne peux rien faire ici, c’est la pause midi, je vais bientôt devoir retourner à mon poste. Donnez-moi un moyen de vous contacter… Je vous prie.

       -C’est très dangereux pour moi votre proposition, vous savez ?

Kelvian l’embrassa délicatement en maintenant la porte fermée. Il ne fallut pas que quelqu’un soit témoin de cette imposture. Emmanuel fut très surpris dans un premier temps, puis il lui donna la carte d’un bar en lui chuchotant à l’oreille :

       -Ce soir, à cette adresse, à 23h30, venez seul et soyez à l’heure, s’il vous plaît.

Kelvian n’eut pas le temps d’analyser la carte mais acquiesça. Ils se quittèrent comme si de rien n’était, Kelvian en premier, Emmanuel en deuxième.

       -Bah alors, j’ai cru que tu étais tombé dans la cuvette des toilettes, disait alors Nicolas tout sourire et le voyant arriver.

       -Oui, heu… J’ai dû lâcher la grosse commission, tu vois.

D’un air dépité Nicolas le toisa avant de dire :

       -Je ne savais pas que tu pouvais être aussi troublé par ce que je te dirais.

Kelvian en avait presque oublié la raison qui l’avait mené aux toilettes. Et c’est une nouvelle fois gêné qu’il détourna le regard de Nicolas qui se voulait très insistant.

       -Désolé, tu m’as vraiment eu par surprise…

       -Ouais ! Je suis trop content ! Comme ça, t’arrêteras de me taquiner.

       - Ça, ce n’est pas dit. Quoi qu’il en soit….

       -Hum ?

       -Je suppose que nous pouvons nous considérer comme des amants à présent, n’est-ce pas ?

       -Tu-tu-tu-tu veux bien !?? Fit Nicolas déconcerté.

       -Moi, ça me va. Demain au lieu d'une soirée en célibataire devant la télé, que dirais-tu d’une soirée entre amants devant la télé?

       -Pourquoi tu parles de ça en public !?

       -Oups désolé, on en reparle ce soir, demain ça te dit ?

       -Ou-oui…

       -Bon, il serait peut-être temps d’aller bosser, tu ne crois pas ? Fit donc Kelvian et tendant la main galamment à Nicolas.

       -Heu… Oui tu as raison…dit alors ce dernier déconcerté par la situation.