Part 10

Le lendemain matin. Blottis l’un contre l’autre, Kelvian et Nicolas dormaient, paisibles, comme s’ils avaient fait un merveilleux rêve. Kelvian ne cessait de respirer le parfum de Nicolas jusqu’à ce qu’il ne ressente le besoin de le dévorer à nouveau. Pourquoi donc ? Parce qu’il commençait à lui mordiller l’oreille après l’avoir léchée langoureusement. Nicolas se réveilla donc car Kelvian le chatouillait et remarqua qu’il ne pouvait se défaire de son étreinte. Non pas que Kelvian ne le retint tellement fort, mais tout simplement parce qu’il en était incapable.

Il ressassa la fois où il croyait l’avoir enfin atteint, il croyait avoir enfin pu s’accrocher à son âme sœur quand ce dernier repartit de la plus cruelle façon qui soit, un jour pluvieux… Ce jour n’était pas si loin dans le passé… c’est pourquoi, même s’ils avaient enfin franchi le pas, il restait enfermé dans cette douleur muette qu’il ressentit comme dix mille aiguilles dans le thorax, ce jour là. Il savait mieux que quiconque, à quel point les sentiments amoureux pouvaient être frivoles. Il devait tout mettre en œuvre pour promouvoir et entretenir ce dernier.

       -Ha ha ! Kelvian tu me chatouilles ! Finit-il par dire.

 Kelvian s’arrêta. Il ne s’était pas encore réveillé, peut-être à cause de l’alcool pensait alors Nicolas.

Il avait mal partout, aux hanches, aux reins. Il s’en étonnait car il se croyait renforcé par toutes ses parties de jambe en l’air avec celles qu’il n’aimait pas. Il se disait que c’était une bonne douleur en se recollant à Kelvian. Il huma son odeur tout en frottant sa tête sur le torse musclé de ce dernier jusqu’à ce qu’il ne se réveilla :

       -Bonjour  Nico… Hum… Dit-il alors en lui donnant un baiser du matin après s’être étiré.

       -Bonjour, bien dormi ? Disait-il aux anges, car il avait toujours souhaité le lui dire un jour, après une nuit de romance enflammée.

       -Pas beaucoup ha, ha ! Et toi ça va ? Tu n’as pas trop mal partout ?

Kelvian avait été trop direct. Le cœur de Nicolas ne fit qu’un bond avant qu’il ne se résolve à coller son front sous le menton de Kelvian :

       -C… Ça va…

Kelvian de son côté, se sentait terriblement bien. « Faire l’amour avec l’être qu’on aime est tellement mieux » pensait-il très fort. Il se disait qu’ils avaient officialisé leur relation mais que s’ils voulaient poursuivre ainsi, il fallait qu’il fasse le ménage de son côté…

       -Je vais prendre une douche, tu viens ? Rétorqua alors Kelvian.

« Qu’est-ce qu’il vient de dire !? » pensa alors violemment Nicolas qui ne s’attendait décidément pas à ce que Kelvian soit si… attentionné avec lui.

       -Heu… Non, non, vas-y. La douche n’est pas assez grande pour deux grands gaillards comme nous, finit-il alors par souffler en cachant son visage rouge comme une pivoine.

Ressentant cette gêne, Kelvian lui caressa les cheveux énergiquement avant de se décider à y aller, il fallait bien qu’il dessaoule un peu.

Alors que tout un tas d’idées idylliques lui traversaient l’esprit, Nicolas fut interrompu par le téléphone de Kelvian qui vibrait dans son pantalon, au pied du lit. Il s’arrêta. Puis repris à plusieurs reprises. Cette agitation amplifiait la curiosité de Nicolas qui voulait savoir qui souhaitait le joindre à ce point, un dimanche matin. Il pensa alors qu’il s’agissait peut-être de ses parents qui tiennent à ce que leurs enfants, en général, partagent les repas du week-end en famille. Il roula douloureusement sur le lit, en ne sachant pas quoi faire :

       -Ce sont les femmes jalouses qui check les téléphones de leur petit ami ! Se disait-il alors à lui-même.

En prononçant ces mots il pensa immédiatement à Hélène et n’attendit pas deux secondes de plus pour extirper le téléphone, de dernière génération, de la poche hirsute du pantalon de son bien-aimé.

Après avoir remarqué les cinq appels en absence d’un numéro inconnu, il découvrit un message qui ne lui plut guère : « J’ai vu que tu as essayé de me joindre, désolée je n’avais pas mon portable avec moi. Tu es où ? On peut se voir pour discuter de vive voix ?  Tu me manques, je t’aime » Et tout ceci signé d’Hélène elle-même.

Son cœur se serra sur l’instant. Car il ne savait pas ce que Kelvian comptait faire vis-à-vis d’elle. Etant donné qu’ils étaient désormais amants, Kelvian aurait très bien pu continuer sa relation « légale » tout en le fréquentant, mais… Plus le temps passait, plus il apprenait de nouvelles facettes de Kelvian et plus il voulait que ce dernier l’aime de tout son cœur, quitte à rejeter tout ce qu’il a acquis par son nom, pour lui. Il devenait malgré lui égoïste. Toutefois, quand bien même il étoufferait sous le poids de la jalousie, jamais il ne pourrait lui demander une chose pareille. Il refusait de faire quoique ce soit pour émailler ce qu’il avait mis tant de temps à construire avec son meilleur ami. Il envoya donc un message avec le téléphone de Kelvian pour par la suite en effacer le contenu, comme pour effacer des preuves. Il rangea donc l’appareil en entendant Kelvian arriver.

       -Bah alors ? Tu es encore au lit ? Tu veux que je te cajole encore un peu ? Dit alors Kelvian qui ne se doutait de rien.

       -Cajoler ? Tu sais faire ça toi ? Toi qui as toujours été choyé par les autres ! Le répondit alors Nicolas en lui lançant un oreiller à la figure.

Kelvian s’apprêtait à dire quelque chose pour lui renvoyer la balle, mais il s’arrêta en court de route avant de plonger dans une intense réflexion. Nicolas fut quelque peu décontenancé par cette réaction et s’apprêtait à lui demander ce qui lui arrivait quand il reprit la parole en se frottant l’arrière du crâne :

       -Je… Je sens que je veux bien apprendre à le faire de moi-même si c’est… pour toi… souffla-t-il alors très gêné.

La relation des meilleurs amis du monde touchait bel et bien à sa fin car jamais, ô grand jamais, Nicolas n’aurait pensé que Kelvian ne puisse lui dire une chose pareille. Il le désirait quelque part au fond de lui, mais il refusait que Kelvian ait à se forcer pour le mettre à son aise.

       -Kelvian, imbécile, ne te force pas à faire des choses de ce gen…

       -Pourquoi ? Qui t’as dit que je me forçais ? C’est donc ainsi que tu me remercies de vouloir te traiter avec des égards particuliers !!

       -Bah… c’est pas ton genre, c’est tout, depuis le temps qu’on se connait… lui répondit alors Nicolas en détournant du regard, il sentit qu’il avait dit quelque chose de déplacé.

       -Bah depuis le temps qu’on se connait… en tant qu’AMI je ne pouvais pas te cajoler comme si on sortait ensemble non plus, réfléchis un peu tête de linotte !

Il n’avait pas tord. Toutefois Nicolas se refusait à l’admettre et lui donna son dos. C’est donc ainsi que Kelvian s’approcha subrepticement de lui, tout en lui offrant un baiser dans le cou. Nicolas en frissonna puis fut surpris de voir Kelvian le porter.

       -Mais qu’est-ce que tu fais ? Lui demanda donc Nicolas interloqué.

       -Je t’amène à la douche…

       -Mais pourq…

       -Te force pas à faire comme si tu ne souffrais pas, ça me mets mal à l’aise…

En réalité, Kelvian s’inquiétait pour la santé de Nicolas qui, en effet, souffrait le martyr après leur première fois. Ce n’était pas comme s’il avait l’habitude. Toutefois ce dernier, qui refusait d’en parler par honte, ne pensait pas qu’il s’en douterait à ce point.

       -T’es con…

       -Ouais ouais, c’est ça, finit donc Kelvian en lui donnant un baiser sur le front.

Ils passèrent leur dimanche collés l’un à l’autre comme de parfaits tourtereaux, regrettant la nouvelle semaine qui allait débuter. Ils pensèrent alors, tous les deux, au moment de se quitter sur un baiser, que c’était peut-être ça le bonheur dont ils avaient toujours rêvé…

Le mercredi vint en un claquement de doigt. Kelvian toujours aussi efficace à son travail envisageait enfin de prendre la tête de sa société et mettait les bouchée double afin d’y arriver. Un jour en se baladant près des archives il croisa la jeune femme de la dernière fois. Il y avait du monde autour d’eux mais quand leurs regards se croisèrent il n’y eut nullement besoin de mot. Elle avait remarqué qu’il n’était plus aussi tourmenté et lui sourit bien tendrement avant de s’incliner d’un signe de la tête pour enfin disparaître dans sa salle sombre et poussiéreuse.

La disparition de William Borel alias Emmanuel ne choqua personne. Comme s’il n’avait jamais existé.

       -Il n’a pas pu entrer dans la boîte et se volatiliser sans que personne ne s’en rende compte tout de même ! Pensais alors très fort Kelvian.

Il en déduisit alors que William Borel avait poussé le mensonge très loin et de façon très habile pour arriver à ses fins. Il le reconnaissait une fois de plus, comme étant un véritable professionnel.

Pour chasser Emmanuel de son esprit, il secoua brièvement la tête avant de songer à la nuit passionnée qu’il avait eu avec Nicolas et n’en revenait toujours pas. En plus de se redécouvrir mutuellement ils avaient poussé leur relation en quelque chose de si fort qu’ils ne l’avaient jamais connu auparavant. Il en était heureux. Il avait fait son choix. Sa mère lui avait dit qu’il fallait qu’il choisisse pour éviter de mentir aux autres, qu’il  assume enfin ce choix mais il y avait une certaine mise en garde dans son message. Comme s’il devait chuter de lui-même afin de prendre réellement conscience de la réalité dans laquelle il vivait.

Du côté de Nicolas, ce dernier était sur un petit nuage. Il avait été atrocement agréable avec ses collègues et autres clients à la plus grande surprise de ceux-ci. Même quand le ciel était gris lui il y voyait de puissants rayons de soleil. Pendant trois jours, pendant qu’il se remettait de ses courbatures, il vivait ainsi. Toutefois il avait quelque chose en tête.