Part 14

Plus tard, lors d’un mouvement dans son sommeil, Kelvian se réveilla à cause de la douleur qui en résultat. Il aperçut alors Nicolas qui dormait sur une chaise au chevet du lit. Il repensa à tout ce qui c’était passé. L’imposture du jeune Borel. La méfiance de Kinine le père. Les soupçons d’Hélène. Sa propre fuite. Il se rendit compte qu’il n’aurait peut-être pas dû se précipiter directement chez Nicolas, si elle voulait des preuves, cette soirée pourrait l’y amener au final. Il se décida donc à aller à l’hôtel. Il ne voulait pas mêler Nicolas à tout ça. Quand il tenta de se lever il fut saisit de torpeur. Il ressentait un regard pesant, lourd, suffoquant posé sur lui. Rassemblant tout son courage vers ce regard, il constata avec frayeur des yeux reluisants dans le couloir menant à la chambre, où subsistait une obscurité inquiétante. C’est donc dans la stupeur qu’il resta figé en direction de ce regard, se posant mille et une questions. Quelques sueurs froides s’écoulèrent de ses tempes, glissant sur ses joues jusqu’à ce que Nicolas brise le silence :

-Oh, Kelvian, tu t’es réveillé ?

Ce dernier se retourna en état de choc vers Nicolas, bien incapable d’ouvrir la bouche. Il se rendit enfin compte que ce regard inquiétant provenait de Karen.

-Qu’est-ce que tu regardes ? Dis alors Nicolas en se retournant vers la porte de la chambre.

Mais il n’y avait plus rien. Comme envolée par magie.

-Hein ? Dit-il donc en revenant de son état second.

-Ça va ? T’as pas l’air dans ton assiette, on dirait que tu as vu un fantôme ?

-Heu ouais, ouais, ça va, merci beaucoup pour tout !

-Heu… Ok, t’inquiète, ce n’est rien. Alors tu vas enfin me dire ce qu’il se passe ?

-Pardon ?

-Tu ne veux toujours rien me dire ? Tu es dur quand même… Je ne sais même pas si je dois arrêter de m’inquiéter ou encore plus que je ne le suis déjà ! Je ne t’ai jamais vu comme ça Kelvian…

-Heu en fait… Entama-t-il en se remettant les idées en place. Heu…

-Quoi ? Faisait donc Nicolas sceptique.

-Elle est toujours là… Karen ?

-Heu, non, non, elle ne vit pas ici tout de même ! Elle est rentrée, pourquoi ? Ah ! Question bête. Je ne sais pas à vrai dire, je ne me suis pas aperçu que je m’étais endormi.

- Si j’ai des trucs à te dire je n’aimerais pas qu’elle nous entende si tu vois ce que je veux dire, dit alors Kelvian en posant sa main sur celle de Nicolas.

Redevenu le timide qu’il était en présence de Kelvian, il se décida donc à aller vérifier si elle était toujours présente dans la maison.

« Peut-être que je délire… Mais ça reste fou quand même, soit je suis fou, soit cette femme est tout, sauf nette… » Pensait alors Kelvian, tout en se rappelant de ce que lui avait dit Katy : « Tu n’imploseras pas, mais ça s’évacuera sous une autre forme ». Il se figea à cette pensée. Se demandant si effectivement il…

-Kelvian ? C’est bon, elle est partie Karen, t’inquiète pas, tu peux vider ton sac !

À ces mots Kelvian avait le cœur en panique, mais il aurait tout fait pour ne jamais le montrer, quitte à y perdre un bras… Il releva alors la tête, souriant et de nouveau apaisé par la présence de Nicolas.

Même si Nicolas était intimidé par lui, il ne pouvait s’empêcher d’avoir envie de l’embêter, de l’approcher, de le toucher. Nicolas voulait accomplir certaines choses mais ne savait pas trop comment s’y prendre, lui non plus ne savait pas comment faire. C’est pour cette raison que Kelvian comprenait pourquoi lui aussi ne savait pas comment réagir, ou pire, ne comprenait pas pourquoi il agissait de telle ou telle façon. Il suffirait qu’ils prennent leur temps. Pourquoi pas après tant de temps ?

Kelvian ne passa pas par quatre chemins comme il l’aurait fait habituellement, il lui avoua tout ce qui s’était passé dans les moindres détails. Il resta là, allongé sur le lit à raconter les choses qu’il trouvait inqualifiables. Alors qu’il se déchargeait de sa peine, de sa frustration, Nicolas, lui, s’emplissait de rage et de haine, toujours contre Hélène, mais il avait vraisemblablement un sentiment de rejet total pour le personnage qu’incarnait William Borel. Etrangement, à la façon dont Kelvian lui avait parlé de ce dernier la veille, il avait eu un mauvais pressentiment, mais il se disait que ça devait juste être une crise de jalousie passagère. Finalement son pressentiment fut le bon. Il n’écoutait plus Kelvian tant il était bouillonnant de colère. Et ce jusqu’à ce que Kelvian posa sa main sur son visage.

-T’écoute même plus ce que je te dis.

-Ah ? Heu pardon, j’ai du mal à avaler tout ça, lui dit-il en détournant le regard.

-J’ai erré hier pour cette même raison, tu n’as pas à en faire de même. Il faut juste que je trouve une solution… annonça-t-il alors en se relevant difficilement. Fiou ça va être dur lundi !

-Comment ça ? Dit donc Nicolas perplexe.

-Je vais avoir du mal à travailler comme ça !

-Tu veux rire ? Tu vas pas bosser avec ton bras comme ça, non mais t’es pas bien ? Pourquoi tu penses autant à bosser ?

-Je ne sais pas, travailler c’est comme manger pour moi, j’aime ce que je fais, et j’aime faire ce qui doit être fait, habituellement je n’ai jamais été dans une situation assez critique pour m’empêcher d’y aller.

-Ah comme quand on revenait de la mort en Laponie ? Il doit te manquer une case tu le sais, ça ?

-Qu’il me manque une case ou pas, c’est comme ça que tu m’aimes n’est-ce pas ? Lui chuchota-t-il en lui attrapant le menton.

La tournure fut trop brutale. Nicolas était en plein black-out.

-Nico, tu ne rends pas les choses faciles vraiment, ha, ha !

-Hein ?

-Tu fais tout pour m’attirer et quand je viens à toi tu me rejettes, c’est pas facile à vivre tu sais ? Lui avoua-t-il alors d’une mine boudeuse.

-Heu… Je …

-Tu veux savoir ce qui m’horripile le plus dans cette histoire ?

-Hein ? Comment ça ?

-Je me suis demandé pourquoi ce timing là ? Pourquoi s’est-elle précipitée ? Si elle voulait des preuves flagrantes elle n’avait qu’à attendre un peu que ça se concrétise entre nous. Plus j’y pense moins je comprends. C’était pour me mettre en garde ? Me montrer qu’elle gardait un œil sur moi ? M’effrayer ?

Alors que Kelvian pensait sérieusement à la raison qui avait poussé Hélène, d’après son point de vue, à passer à l’acte, Nicolas entendait les mots qu’il venait de dire faire écho jusqu’au fin fond de son âme « que ça se concrétise… que ça se concrétise… que ça se concrétise… »

-Et puis, j’y pense à présent à tête reposée, mais peut-être que je me suis fait des idées, je suis un peu paumé là… Nicolas ?

-Oui ? Lui dit-il d’un regard apeuré.

-Tu pensais à des choses cochonnes, pas vrai ?

-Qu… Quoi ? Tu penses que tout le monde est comme toi ou quoi !!

-Pourquoi tu gueules ? Ha ! Ha ! Sans que tu n’aies à hurler je suis apte à t’écouter tu sais ?

-Mais… Mais… C’est parce que tu…

-T’inquiète, je ne te brusquerai plus, je ne te presserai plus, je ne veux pas te briser et encore moins te voir me fuir.

Nicolas écarquilla les yeux, estomaqué par ce qu’il venait d’entendre. Il ne savait plus quoi penser, ni quoi dire, il restait juste là, à l’écouter.

-J’attendrai le temps qu’il faudra, que tu aies moins peur, que tu saches vraiment où tu en es et même si au final tu te rends compte que ce n’était pas ce que tu voulais, je comprendrai.

« Quoi ? Quoi ? Mais qu’est-ce qu’il dit !? » Pensait alors très fort Nicolas en secouant frénétiquement la tête en ne quittant pas une seule fois Kelvian des yeux. Ce dernier qui lui adressait un regard si doux qu’il réchaufferait le cœur d’un sans abri en plein hiver.

-Tu es l’une des seules personnes auxquelles je pardonnerai absolument tout alors…

Nicolas, suffoquant au point de ne plus pouvoir articuler une phrase, posa son index sur les lèvres de Kelvian pour lui dire de se taire. Pourtant se dernier s’interrompit par la surprise du geste puis prit la main de Nicolas dans la sienne avant de frotter son visage contre cette dernière, comme le ferait un chaton avant de reprendre :

-L’une des seules, c’est pourquoi j’en voulais à Hélène d’avoir singé cette histoire tordue alors que nous n’avions encore rien fait de répréhensible, finit-il par dire de son regard enjôleur habituel. Tu…

Nicolas l’embrassa. Une première fois timidement. Pour une fois Kelvian fut très surpris par sa réaction. Quand il s’apprêtait à dire quelque chose Nicolas l’embrassa une seconde fois, le forçant à se coucher en silence, tout en stimulant son épaule.

De peur d’affronter son regard, Nicolas s’étendit sur Kelvian collant son oreille droite à l’oreille gauche de celui-ci. De son bras valide Kelvian voulait l’éloigner afin de voir son visage. Mais Nicolas l’en empêcha, de peur de mourir de honte. Jusqu’à ce que Kelvian brisa le silence.

-Nico~

Mais il appelait un sourd, soit disant.

-Nico~ Tu te rends compte que tu profites que je sois affaibli pour m’attaquer comme ça ? Hé, hé.

-Chut ! Dis plus rien !! C’est la seule façon que j’ai trouvé pour te faire taire, depuis quand es-tu aussi bavard !!? Disait-il tout en s’accrochant désespérément à Kelvian.

-Tu veux vraiment le savoir ?

-Non, non ne dis plus rien, je ne sais plus où me mettre…

Kelvian sourit donc sincèrement avant de lui passer la main dans les cheveux. Ces cheveux dorés qui ondulaient tel un ruisseau de perle d’or. Il humait son parfum, son odeur avant de lui donner un tendre baiser sur le cou. Nicolas frissonna.

-Je comprends à présent… commença-t-il.

-Quoi ?

-Je comprends pourquoi tu réagis aussi timidement, aussi craintivement.

Nicolas se releva donc au bord des larmes, le regardant avidement, il voulait savoir de quoi il allait parler.

-Tu me laisses enfin te découvrir ?

-Qu… Qu’est-ce que tu as découvert ?

-Ça fait tellement longtemps que tu te retiens, que tu te persuades que ce n’est pas possible, je suis sûr que tu te dis que ça n’est pas possible pas vrai ? Ton masque a complètement fondu et j’y découvre une personne débordant de sentiments, de craintes, tu es vraiment toi là, non ?

-D… Donc tu ne fais tout ça que pour me faire plaisir ?

-Que je me fasse foudroyer si c’est vraiment le cas !

-Mais…

-Tu as le droit d’être heureux toi aussi Nicolas, fit alors Kelvian en séchant ses larmes qui traduisaient sa joie hors norme.

-Je… Je vais vraiment en mourir… d’être aussi heureux…

Kelvian avait pris une décision, il devait à présent tout mettre en œuvre pour que les choses aillent comme il le souhaitait, quitte à prendre des mesures drastiques.